Putain des Palaces, de Nathalie Feisthauer pour État Libre d’Orange: Bath petite môme – Retirer un terme : GRAIN DE MUSC

26 janvier 2012 par GRAIN DE MUSC

« Qui, mais qui voudrait porter un parfum qui s’appelle Putain des Palaces ? », gémissent-elles en agrippant leurs colliers de perles…
Qui donc ? Pas mal de monde, apparemment, puisqu’il semble que ce soit le best-seller d’État Libre d’Orange (à ce stade, les perles roulent sur le parquet ciré).

Quant Nathalie Feisthauer a composé Putain des Palaces, elle connaissait déjà le nom. Étienne de Swardt, propriétaire de la marque, lui avait demandé de travailler sur l’idée de la bouche, d’où l’accord « J’embrasse pas » de rouge à lèvres à l’ancienne.
Ledit accord rose-violette créé en 1904 pour La Rose Jacqueminot de Coty a été relifté dans Paris et Trésor par la grande Sophia Grojsman, auprès de laquelle Nathalie Feisthauer a sûrement appris une chose ou deux lors de ses années new-yorkaises. Cet accord qui a filtré de Paris à la Putain serait-il un hommage?
Quant au traitement enjoué du thème prostitutionnel, il pourrait s’entendre comme un message chuchoté par l’auteur à celle qui porterait son parfum : « D’accord, pour les mecs dans l’fond c’est le même tabac, comme dirait l’autre, mais ne prenons pas tout ça trop au sérieux. Ce n’est pas une identité, mais un jeu, auquel on ne croit que le temps d’en jouir. »
Peu importe, du reste, que Nathalie Feisthauer l’ait pensé ou pas. Les noms de parfums sont des fragments de récit à enchâsser dans les nôtres. Et les notes de parfum sont des objets culturels, qui charrient des traces inconscientes qu’on peut déchiffrer. Ainsi, la rose et la violette ne sont pas pour moi qu’une histoire de lipstick…

La rose? Ronsard via Gainsbarre, puisque « Putain des palaces » est tiré de Ronsard 58, chanson inspirée par « Quand vous serez bien vieille », sonnet dudit Ronsard qui se conclut sur « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ». Quant à la chaste violette, symbole des amours secrètes, c’est aussi, tout de même, le parfum de la Nana de Zola, « la bête d’or, inconsciente comme une force, et dont l’odeur seule gâtait le monde ».
Le mot « putain », on l’aura assez dit, est lié par son étymologie même aux odeurs puisqu’il provient du latin putidus, « pourri, gâté, puant, fétide », dans une dérive de sens qui fait à la fois allusion à la moralité corrompue de la pute, aux sécrétions magnifiques de ses michetons qui lui pourrissent dans le corps, et aux parfums capiteux dont elle se sert pour les recouvrir et appâter ses proies. Ainsi, la fragrance candide de Nana et son remugle de bête de l’Apocalypse confondent parfum et putanisme dans un même sillage. Ça colle.

Bien qu’il sente nettement moins le fauve que des jus vintage comme Shocking de Schiaparelli ou Bal à Versailles – mètre-étalon du parfum animal pour nos camarades américaines – Putain des Palaces exhale tout de même une délicate odeur de chair en chaleur sur fond ambré. L’accord rose-violette, chauffé par le gingembre jusqu’à ce qu’il sue sa confiture de framboises, dégouline sur une note cuir plus daim que Domina. Ses facettes poudrées, boostées par le musc, dégagent une bouffée de poudre de riz. C’est exquis.

Alors, qui voudrait porter un parfum qui s’appelle Putain des Palaces ? Eh bien moi, par exemple. Je rêvais depuis longtemps de pouvoir, lorsqu’on me demanderait « tu portes quoi comme parfum ? », faire cette réponse-là, ne serait-ce qu’en souvenir de Gainsbourg. Et depuis que j’ai mon flacon, j’en ai trouvé plusieurs fois l’occasion. Ça fait rire. Personne ne m’a encore demandé mes tarifs. On trouve juste que je sens bon.

Photo de Bettina Rheims

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