Et si on parlait de parfumerie naturelle ?

Nathalie PICHARD (GABRIELLI)
 

La parfumerie naturelle (et 100%) est dans toutes les bouches ! L’engouement mondial du naturel dans les média et chez certains consommateurs est suffisamment remarquable pour qu’on s’y arrête un peu avec des professionnels. Par ailleurs, le sujet étant complexe, voire confus, j’ai souhaité investiguer pour plus de clarté. 

Aussi ai-je demandé à 4 amis parfumeurs, qui travaillent sur le naturel, de répondre à quelques questions, en toute transparence ! Et ma surprise en lisant leurs réponses a été de constater qu’ils n’avaient pas toujours les mêmes perceptions ! Ce qui rend le sujet passionnant. Décryptage avec Jeanne-Marie Faugier (Senior Parfumeur chez Firmenich), Irène Farmachidi (Parfumeur chez TechnicoFlor), Antoine Lie (Parfumeur chez A.L.O.E) et Nathalie Feisthauer (Parfumeur Créateur Indépendant chez LabScent).

Le naturel, la naturalité, les ingrédients naturels… Depuis quelques années, on en attend beaucoup parler dans l’alimentation, la beauté, la mode, les parfums etc. Est-ce un effet de mode bobo, une évolution de nos sociétés consuméristes ou une révolution ? Ne va-t-on nous proposer demain que des parfums naturels ? Est-ce réaliste ou compatible avec les préoccupations de développement durable… ?

Il semble que la pandémie actuelle, booster de tendances, ait cristallisé ce mouvement avec en toile de fond l’idée d’un monde meilleur, plus sain et transparent. Des marques de parfums telles que Ormaie, Voyages Imaginaires, Honoré, Florame, Weleda, 100Bon, Acorelle, Floratropia et bien d’autres se sont jetées dans l’aventure pour répondre aux attentes de consommateurs portés par des valeurs d’éthique, de bien être, de ‘bon pour la planète’. La nature donnerait confiance.

Pour Nathalie Feisthauer, la tendance du naturel est « très importante car il y a une recherche de vrai, de bon, de sain et de naturel ». Jeanne-Marie Faugier évoque le besoin de naturel qui vient de « croyances injustifiées en ce que la nature est ce qu’il y a de plus sain en opposition au monde moderne avec la chimie ». Pour Antoine Lie, cela s’explique par « un retour à des choses moins transformées, une recherche de transparence par rapport à un langage marketing qui enrobe les choses ; enfin, c’est aussi le fait que la synthèse ait une mauvaise image… ». Irène Farmachidi y voit, quant à elle, la beauté : « le naturel, que cela soit en parfumerie ou dans d’autres domaines fait toujours rêver. La nature recèle tant de beautés que l’homme n’a pas fini d’explorer ! ».

Mais entendons-nous bien : qu’est-ce qu’un parfum 100% naturel concrètement ? La définition n’est pas simple ! Ce parfum n’est pas juste composé de 100% de matières premières naturelles, ce serait trop facile. Il n’y a pas de définition officielle et plusieurs références ISO (International Standardization Organization) sont mentionnées ci et là. Pour être au plus près d’une définition correcte, il faut entendre qu’un parfum 100% naturel n’est composé que d’extraits naturels (matières premières naturelles + isolats naturels) sans ajout d’élément issu de la chimie. Mais Antoine Lie va plus loin, habitué à y travailler, en disant « qu’un parfum 100% naturel doit être pensé comme un tout, composé de matières naturelles n’ayant subi aucune transformation chimique, d’alcool naturel (blé/betterave), sans adjuvant, filtre ou colorant. ». L’idée d’absence de transformation chimique dans le processus d’élaboration des matériaux est clé.

Bon, mais après, créer un parfum 100% naturel, est-ce compliqué ? Est-ce créatif ? Certains parfumeurs reconnaissent que l’exercice, bien qu’innovant et très exploratif, est un vrai défi, un acte de création très coûteux et compliqué. La création peut prendre beaucoup de temps. Pour Jeanne-Marie Faugier, « composer en 100 % naturel ou en 100% synthétique, car nous avons les deux oppositions, revient à composer avec une seule partie d’un clavier de piano… c’est enlever les touches noires par exemple… ou les blanches c’est selon. Mais pour nous parfumeurs, créer du 100% naturel reste est un challenge passionnant qui donne envie d’aller encore plus à la source de la source…».  Nathalie Feisthauer reconnaît que la création est complexe mais intéressante et stimulante.  Irène Farmachidi coupe court aux idées reçues « on me demande souvent si l’on peut être créatif avec un parfum naturel. Non seulement on le peut, mais il le faut pour réinventer des accords. Avec de la créativité et de la technicité, presque tout est possible dans cet univers du nature . Comme disait Miles Davis : « Pourquoi faire tant de notes alors qu’ils suffit de faire les plus belles ? On n’a pas besoin de beaucoup de matières pour faire un beau parfum. »

Cependant, composer un parfum naturel est aussi un vrai casse-tête. Il pose le problème de la palette du créateur parfumeur qui se restreint à vue d’œil, en passant de plusieurs centaines à juste 150-300 ingrédients selon la taille des labos. Il y a aussi le fait que ces produits sont soumis à de nombreuses réglementations complexes, présentent des allergènes, coûtent cher (sourcing, production, extraction…). Certaines matières sont plus difficiles à travailler que d’autres. Par ailleurs, l’ensemble de la composition doit tenir ses promesses d’harmonie, de tenue et de diffusion ! Sans compter qu’un parfum naturel doit sentir bon. Ne plaisantez pas, qui se souvient de certains parfums dont on disait qu’ils évoquaient plus la soupe ou un champ qu’un parfum pour la peau ? 

Par ailleurs, quand on leur objecte que certains parfums dits naturels sont encore un peu ‘verts’ (voire crus), ne diffusent pas ou ne tiennent pas sur la peau, tous froncent les sourcils en rétorquant « pardon ? » d’un air contrit. Comme le dit très justement Irène Farmachidi : « il y a des familles olfactives comme les orientaux, les chypres ou les gourmands qu’il est plus facile de faire tenir et diffuser que de petites Colognes ou floraux transparents… . Mais avec l’expérience et un sourcing adapté, nous sommes capables aujourd’hui d’atteindre les mêmes niveaux de créativité et de puissance que la parfumerie dite conventionnelle. ». Antoine Lie ajoute : « la tenue, c’est un travail de parfumeur, oui c’est dur, mais c’est une question de savoir faire. C’est compliqué mais on peut y arriver, cela demande un vrai travail et du temps ! Alors, laissez-nous du temps ! ».

Cela étant, les parfums naturels n’offrent pas le même sillage que ceux qui sont composés avec de la synthèse car cette dernière a, outre le pouvoir magique de faire rayonner les matières naturelles, celui de leur apporter ce lien ou liant indispensable à l’équilibre du parfum. La synthèse apporte des odeurs inconnues de la nature, des effets de transparence, des textures incroyables, comme une crème fraiche viendrait adoucir l’acidité d’un met et surtout la puissance efficace. Elle leur manque, si innovante, si incroyablement facettée, mais leur savoir-faire leur permet d’aller au-delà, comme un peintre qui n’a plus toutes ses couleurs.

Alors demain, tous au naturel ? Jeanne-Marie Faugier est ferme : « le 100 % naturel pour les grandes marques à gros volumes est une hérésie… C’est oublier que la nature a des ressources limitées, qu’un produit naturel fluctue d’une année sur l’autre en fonction de la nature des sols et de l’ensoleillement, comme un vin… qu’il faut planter beaucoup pour récolter peu et que nos récoltes sont fragiles et demandent du travail, du soin, de l’attention ». D’ailleurs, Antoine Lie rappelle que cette parfumerie n’est pas destinée à tout le monde. Avec les parfums naturels, il est davantage « question de parfumerie pour soi, intimiste plutôt que de performance, de séduction … et de tests consommateurs ». Irène Farmachidi, en revanche, constate un nombre grandissant de projets autour du naturel depuis quelques années « l’attrait pour la parfumerie naturelle n’est pas nouveau, et le contexte actuel favorise encore plus ce besoin de retour aux sources. La parfumerie naturelle est pour tout le monde et n’est plus ni niche ni élitiste. Chez Technicoflor, nous maitrisons cette parfumerie depuis longtemps. Le vrai challenge aujourd’hui n’est plus la parfumerie naturelle, mais la parfumerie naturelle responsable ».

L’avenir nous dira si la parfumerie naturelle est la « nouvelle niche » de la parfumerie actuelle. Comptons sur l’inventivité des acteurs de l’industrie, des parfumeurs et de leur savoir-faire pour nous montrer combien leur métier est unique et prometteur.

Merci Irène Antoine, Jeanne Marie, Nathalie !

Nathalie PICHARD (GABRIELLI) est Fondatrice de toPNotes