Interview avec Christian Astuguevieille – Ma Récréation

Par Ma Récréation

Nous sommes ici dans votre galerie, entourés de vos meubles et de vos sculptures en corde. Comment cette activité vous a-t-elle mené au parfum ?

Christian Astuguevieille  : Je suis pédagogue de formation, j’ai toujours été intéressé par le sensoriel, d’où l’importance du toucher dans mes créations. J’ai une formation artistique et j’aime bien faire des choses très différentes. Vous voyez ici mes sculptures en corde que j’utilise depuis 1987. J’ai aussi fait de grands totems pour Comme des Garçons. Je suis artiste résident chez Petit H pour Hermès. Je fabrique des bijoux, je vous montrerai quelques collections à l’étage quand nous irons dans mon bureau. Le parfum est arrivé par hasard dans ma vie.

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La série « Synthetic » de Comme des Garçons a beaucoup choqué, comment en avez-vous eu l’idée ?

C.A : On avait fait la série LeavesL’Encens, la série Red. J’ai proposé de faire une série folle. Rei Kawakubo a dit « Oui allez-y ». C’était entre deux périodes de collection et j’ai eu envie d’abord d’une chose amusante, d’une odeur de garage, je l’ai proposé au parfumeur Nathalie Feisthauer qui a très vite sorti le garage qui était pile “le garage”. Et puis on voulait aussi l’odeur du cachet effervescent lorsqu’on est juste au dessus d’un verre, celle de la teinturerie. Tout ça est né très vite, c’était frais, c’était nouveau, il n’y avait pas à plaire à la femme de 35 ans. Rei est rentrée à Paris, je lui ai fait sentir, on a décidé dans l’heure de ce qu’on sortait. La série Synthetic a été aussi spontanée que cela.

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C’est difficile aujourd’hui pour un parfumeur de libérer sa créativité ?

C.A : Ils sont habitués à être testés à longueur d’année par la plupart des marques. Je dine de temps en temps avec eux donc j’apprends comment ça se passe pour eux, ailleurs. Ils se retrouvent parfois devant une fille en début de carrière dans une grande maison qu’on ne citera pas. Ils présentent à plusieurs parfumeurs 17 senteurs. La fille n’a jamais appris à sentir et elle leur dit froidement « Non je n’aime rien  ». Quand vous avez bossé, que chacun a sorti deux ou trois idées, qu’on s’est donné du mal, entendre « je n’aime rien  », c’est terrible. Moi, je ne pourrais jamais faire une chose pareille. Je peux dire « trop sale  », « trop propre  », « rajoute ça  ». Mais il est hors de question, dans une séance de soumission de parfum, de se contenter d’un « non ». Il faut parler autour. Essayer d’aller à l’endroit où on voulait aller. Je dirais même : à l’endroit où je ne savais même pas qu’on irait. Tout à coup, l’audace est communicative : ma folie couplée à leur culture olfactive peut mener à une audace qu’on n’avait pas soupçonnée. Comme lorsqu’on dit au parfumeur Nathalie Feisthauer « fais un garage  ». Elle nous a sorti un garage rêvé. Il n’y a pas de voiture moderne là-dedans. Et puis, au bout de 25 à 30 minutes lorsque vous portez garage, il devient très beau. Parce qu’au fond, si vous allez diner chez des gens et que vous êtes à côté de quelqu’un et que vous lui dites « Tiens c’est curieux ton parfum, qu’est-ce que c’est  ? » et qu’il vous répond : « Je porte Garage », ça fait la conversation pour la soirée. Et de quoi a-t-on envie aujourd’hui ? D’être différent, d’être surprenant, vous ne trouvez pas ? On a en sans doute toujours eu envie mais encore plus aujourd’hui, non ? Et puis, quand on travaille pour une marque aussi différente, aussi étonnante que Comme des Garçons, il faut essayer d’être proche de tout ça. D’être cohérent. Essayer d’être différent… Ce qui m’a valu le plus beau compliment de la part de Rei Kawakubo qui m’a dit un jour « Mais vous êtes fou !  ». Venant d’elle, ça me va parfaitement.

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